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Dans un petit village piémontais, 

perché sur une montagne abrupte, 

vivait le dénommé Ettore de la famille Dragone.

En ce temps-là, aucune route ne menait au village.

Le mot “automobile” n’avait pas encore osé gravir les petits chemins escarpés pour rejoindre ces êtres sauvages, isolés de la modernité.

Pour le transport, on utilisait l’âne et parfois les chiens.

Mais, le plus souvent,

l’homme et la femme montaient et descendaient

les chemins avec de lourdes charges sur le dos.

Ettore, le plus jeune de sa fratrie, ressemblait à une plume.

Ses traits fins, son corps élancé et son teint diaphane, le rendait transparent et invisible.

Ses deux frères l’emmenaient tous les jours à la découverte des trésors enfouis dans la nature :

fruits des bois, champignons, herbes sauvages et surtout les pierres précieuses, dont l’or, trésor absolu, que de nombreux hommes avaient cherché dans cette région et recherchaient encore aujourd’hui. Mais souvent, sans même sans apercevoir, ils oubliaient “il piuma”, “la plume” en travers du chemin. Et comme par enchantement il se retrouvait finalement toujours devant la cabane de la vieille sorcière en compagnie d’hommes forts au regard noir. 

 

Cette partie du piémont regorgeait d’histoires incroyables qui attiraient tous les étés des “cercatore d’oro”, certains ne parlant même pas la langue “natale”.

Il existait un filon officiel, au fond d’un siphon, mais son accès nécessitait une collaboration étroite entre les hommes, avec cordes, pioches et lampes à pétrole. Malheureusement pour eux, la caste des chercheurs d’or était des plus égoïstes et solitaires. Dès le premier mort, englouti par le siphon, plus personne n’osa s’y engouffrer, même aidé par ses propres frères.

En contrebas du siphon, les chercheurs avaient trouvé plusieurs pépites de taille raisonnable.

Mais la famille Dragone soupçonnait cette “vieille sorcière” , la “vecchia strega” de les jeter là pour attirer les touristes de l’or et lui permettre de vendre ses délicieuses soupes.

N’était-ce pas elle qui racontait des légendes improbables que les hommes engloutissaient avec de grands “slurp” et autres “hmmm”? “Il Piuma” avait déjà entendu ces histoires, d’abord de la bouche de ses frères puis directement à la source. Souvent il venait aider la vieille, lui apportant quelques-uns de ses trésors de saison. Il avait entendu, d’année en année les histoires se développer, se transformer et même devenir réalité. Comme si la sorcière, par ces mots, créait de nouveaux possibles, une nouvelle réalité.

Mais pourquoi avait-elle besoin de ces hommes, il ne le comprenait pas. Si vraiment elle jetait l’or dans la rivière, elle n’avait pas besoin de vendre sa soupe, si bonne soit-elle. Il lui aurait suffi de vendre son or, pensait-il, et s’installer sur le bord du lac de “Mergozzo”, petit bourg en pleine expansion à moins de deux heures de marche du village.

Un jour, plein de courage, il avait osé lui demander si c’était elle qui distribuait l’or et comme elle avait répondu que “si, e verro”, il ne savait plus que penser. Un menteur ment-il tout le temps? Existe-t-il une vérité qu’il ose dire sachant que personne, sur le coup, ne pourrait le croire? Bien que très léger, son cerveau fonctionnait à merveille. Il avait alors demandé à la vieille où elle trouvait l’or et elle répondit tout simplement qu’elle relançait l’or trouvés par les premiers chercheurs. Tout était par trop évident; sauf qu’elle ne gagnait finalement rien de son manège, à part peut-être la compagnie des hommes. Le jeune Ettore, conscient de l’attrait qu’il éprouvait pour la vieille, décida de percer ce mystère, comme tous ces hommes qui perçaient la montagne pour espérer découvrir des pierres précieuses.

 

Un matin, très tôt, il l’avait suivi, à distance raisonnable. Il l’avait vu parler aux animaux, aux arbres, aux buissons. 

Il l’avait vu se baigner, complètement nue, dans un jacuzzi naturel, puis se sécher au soleil, sur des grandes pierres chaudes. Ce fût un véritable choc. Elle n’avait pas d’âge. Son corps, sans ses habits rapiécés, était resté celui d’une jeune femme. Sans doute que l’effet raffermissant de l’eau glacée avait préservé son corps du vieillissement. Car l’eau du torrent était glacée. Marcher dans cette eau ou sur des braises brûlante revenait au même cri d’effroi.

 

Et la vieille y plongeait son corps en entier, sauf la tête. Avec le temps et ce petit exercice journalier,

le contraste entre sa tête et son corps devint flagrant. Si elle s’était aventurée nue avec un châle sur la tête, tous les hommes romantiques se seraient jetés à ses pieds. Quant aux autres, les vrais hommes, ils se seraient jetés sur elle pour la posséder immédiatement.

 

Son secret entretenait son mystère.

Il comprenait maintenant pourquoi il ressentait tant de désir refoulé dès qu’il la sentait trop proche de son jeune corps à peine développé. Il garda précieusement le secret. Mais, au fur et à mesure qu’il grandit, ses rêves se tournèrent vers la vieille, vers son corps de jeune mariée.

Dans ses rêves les plus débridés, ils se baignaient ensemble dans le torrent. L’eau se mettait à bouillir doucement et tout le décor devenait son corps. Tous ses rêves terminaient de la même manière: après avoir escaladé un de ses seins il se trouvait nez à nez avec la vieille qui lui criait à tue-tête:  ” Ettore, écoute…”

Il se réveillait toujours en sursaut et en sueur.

 

Jusqu’à cette nuit où il écouta enfin la vieille continuer :”Ettore, écoute, les hommes cherchent Dieu au ciel alors qu’il est en eux, d’autres cherchent l’or en bas, près du siphon, alors qu’il est à la source du torrent. Va et attends moi.”

 

Ce matin-là, il ne partit pas voir la veille. Il remonta le torrent doucement,

se frayant miraculeusement un chemin dans la végétation.

Après une heure de lutte intense entre son désir et la réalité infranchissable , 

une heure de danse avec la densité et l’espérance, il parvint enfin à un petit plateau,

complètement isolé. L’endroit semblait avoir été construit par des géants esthètes pour des rituels sacrés.

Sur la gauche, en remontant le torrent, un gigantesque rocher plat ressemblait à un lit à baldaquin

avec des courtines en lierre.

Mais le plus étonnant , à quelques enjambées du lit, l’on pouvait voir, sortant de l’eau, une énorme masse d’or.

Elle avait été sans doute lissée par un géant ou une sorcière.

Et comme si son imagination débordante créait la réalité, il entendit soudain des cris en contrebas.

Il eut le temps de voir la vieille arrivé, accompagnée par un homme robuste, apparemment épuisé et énervé.

Elle lui fit un petit signe de la main, il crut même l’entendre lui dire de se cacher

derrière le tronc du mélèze qui donnait généreusement son ombre à ce lieu sacré.

Il s’exécuta promptement, le coeur battant.

Il vit l’homme changer de ton, de couleur et de forme à la vue de la masse d’or.

Il le vit se précipiter sur la roche en hurlant de joie, l’ embrasser, la caresser puis essayer de la soulever.

Après quelques essais infructueux il se tourna vers la vieille pour lui parler mais elle avait disparu.

En la cherchant des yeux il aperçut, couchée sur le lit de pierre, une jeune femme dénudée,

le visage caché par un linceul blanc, allongée, comme offerte en sacrifice.

C’était sûrement son jour de chance.

 

 

 

 

 

 

 

 

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